Imbécile heureux
"Il faut absolument que tu le lises, c'est un classique de la science-fiction" me dit-on en me tendant avec enthousiasme ce poche d'occasion. Je le saisis avec politesse et lis la quatrième de couverture. Vendu. Un doute s'immisce tout de même en moi : ce roman de 1966 pourrait-il avoir vieilli ?
Au bout du compte, non car le thème et son traitement épistolaire rendent le récit intemporel et transposable partout, malgré la présence surannée de machines à écrire et autres bandes magnétiques. Quitte à reprocher à l'auteur de n'avoir pas su développer un univers propre au roman.
Je suis d'ailleurs (faussement) surpris de le voir labellisé science-fiction alors qu'il est surtout psychologique, voire sociologique, malgré son postulat imaginaire (visionnaire ?) : un jeune homme au handicap intellectuel devient un génie absolu par la grâce (en l'occurence la malédiction) d'une expérience scientifique, avant de retourner dans son brouillard originel.
Le fantastique sert de prétexte à l'étude de la psyché d'un homme et du comportement de son entourage. Le roman en dit beaucoup sur notre rapport à l'autre et à ses différences, largement en lien avec notre rapport à nous-mêmes. L'intelligence est-elle une panacée ? Ne vaut mieux-t-il pas être un "imbécile heureux" ? On n'a pas fini d'en débattre.
Un roman passionnant, éprouvant, émouvant et qui accessoirement a oublié d'être bête.
J'ai lu - page 91
Il n'y avait plus rien à dire, ni à elle ni aux autres. Aucun d'eux ne voulait me regarder dans les yeux. Je sens encore leur hostilité. Avant, ils riaient de moi, me méprisaient pour mon ignorance et ma lenteur d'esprit ; maintenant ils me haïssaient pour mon savoir et ma facilité de compréhension. Pourquoi cela, mon Dieu ? Qu'auraient-ils voulu que je fasse ?
Mon intelligence a creusé comme un fossé entre moi et tous ceux que je connaissais et que j'aimais, et j'ai été chassé de la boulangerie. Je suis maintenant plus seul que jamais auparavant. Je me demande ce qui se passerait si l'ont remettait Algernon dans la grande cage avec quelques-unes des autres souris. Est-ce qu'elles la traiteraient en ennemie ?
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