Femme téfale (selon Zazie)
L'émouvante rencontre avec Annie Ernaux en mars à la Maison de la Poésie a ravivé mon envie d'en découvrir plus sur sa littérature. Le choix de La femme gelée a été naturel puisque évoqué lors de cette soirée placée sous le signe de la femme.
Dans ce livre autobiographique mais jusqu'à un certain point romancé, l'écrivaine ne se contente pas de raconter son passé d'épouse et de mère au foyer à la mode des années soixante mais elle développe aussi longuement son enfance normande dans un foyer aux codes moins figés, voire inversés par rapport aux stéréotypes traditionnels du couple, de la famille et plus largement de la société. Pour résumer de façon raccourcie : sa mère au caractère affirmé tenait les cordons de la bourse et son père, plutôt moelleux, cuisinait plus souvent qu'à son tour. Elevée dans la conscience qu'il ne fallait pas se laisser piégé par le mariage, par le statut de mère au foyer, agrémenté ou non de celui de secrétaire ou d'institutrice, elle y a tout de même sauté à pieds joints à la fois malgré elle et de son plein gré. Ça en dit long sur le poids de la reproduction des réflexes sociaux.
Le style d'Annie Ernaux est inimitable. Dénué de dialogues, le récit est une suite de réflexions et d'impressions de la narratrice d'une grande lucidité sur ses expériences et sa condition. L'écriture dégage une certaine froideur et laisse peu de respiration au lecteur mais j'ai trouvé ça très bien écrit et le propos est éloquent et passionnant.
Folio - page 121 et 122
L'air était doux et bleuté sur le cours Victor-Hugo, la session des examens d'octobre venait de finir, on buvait un jus comme d'habitude, au Montaigne. Il regardait la rue, les voitures, en étirant et lissant sa barbe blonde. Brusquement, il a dit : "C'est de Camus ça, aimer un être c'est accepter de vieillir avec lui. une phrase juste. Tu ne trouves pas ?" J'ai le souffle retenu. "On devrait se marier, qu'est-ce que tu en penses ?" Cette mollesse qui me liquéfie subitement dans mon fauteuil de rotin, ma joie inavouable masquée d'un "il faut qu'on y réfléchisse", je m'en souviens. L'avenir, la vieillesse même ressemblait à ce jour doré. Elle resplendissait d'une poésie lointaine, délicate, la petite phrase de Camus. Vieillir ensemble, comme une grâce qui fondait sur moi d'un seul coup, pas une once de pensée claire.
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