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Né d'aucune femme (Franck Bouysse)

Né d'aucune femme - Franck Bouysse

La misérable

Ce roman, au titre qui claque, raconte une histoire sombre et tragique qui a tout du conte manichéen comme du roman du 19ème siècle. Le destin effroyable de Rose n'a pas grand chose à envier à la Fantine de Victor Hugo. L'intrigue se passe d'ailleurs plus ou moins à la même époque - on l'apprend grâce à un détail au détour d'une phrase - dans une quelconque région rurale de France. Vendue par son père à des Thénardier de la pire espèce, la jeune fille ne va pas être à la fête, c'est le moins qu'on puisse dire. A tel point que l'intrigue a tendance à verser dans le misérabilisme et du coup à rendre la lecture oppressante malgré la tournure assez prévisible des évènements. Au moment du dénouement, une légère bise d'optimisme souffle enfin mais c'est à mon goût un peu trop rapide et pas très limpide.

Pour autant, Né d'aucune femme est un sacré morceau de littérature. Il y a à la fois une forme de rudesse très terrienne et un souffle poétique dans le style de Franck Bouysse. Il sait adapter sa plume aux différents narrateurs qui se relaient de chapitre en chapitre ; il parvient à nous plonger dans leur tête. La forme particulière des rares dialogues est également intéressante. Sans retour à la ligne ni ponctuation, ils sont vivants, plus vrais que nature.
 
Sa lecture m'a souvent pesé par la cruauté du sujet mais c'est un roman sans nul doute brillant et prenant.

Le Livre de Poche - page 77 et 78

Et sa femme, qui ne lui parlait même plus, absente et pourtant là, comme si elle se tenait au bord de ce monde dans lequel elle avait ouvert les yeux au jour de sa naissance, dans lequel elle avait déversé durablement quatre drôlesses et enfanté six fois en tout : quatre femelles survivantes, petits êtres fendus, sans grand rapport, si ce n'est celui du coeur. Le coeur, dérisoire métaphore d'un sentiment diffus, empêché, parce que, quelque interprétation que l'on en fasse, le coeur n'est pas d'or, il sert à peu de chose, pour ne pas dire à rien. Le coeur dans le meilleur des cas, il parade les jours de fête, le temps du premier baiser ; mais après la disette s'étend, épouse, s'incruste sur les flancs malingres du destin, et il n'y a plus que le sang  qui parle et se déverse. Un sang noir.

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