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Une page d'amour (Émile Zola)


Le ciel de Paris

Une page d'amour m'apparaît comme une pause dans la progression de l'œuvre des Rougon-Macquart. J'imagine aisément Émile Zola l'appréhender un peu comme une récréation après le dense et dramatique L'assommoir qui a dû lui prendre beaucoup d'énergie à écrire et ensuite à assumer. Ce huitième volet contient beaucoup moins de scènes descriptives et/ou spectaculaires que son prédécesseur. Le lecteur y trouve tout de même de jolis moments marquants, comme la crise d'épilepsie ou tétanie de Jeanne en début de roman ou encore la charmante fête organisée en l'honneur du petit Lucien.

Le roman prend la forme d'une sorte de huis clos avec quelques personnages récurrents, les autres apparaissant ici et là pour donner un peu de profondeur à l'histoire et de couleurs au quartier de Passy. Zola y plante le décor de son scénario bâti autour de la passion amoureuse et de la maladie. On est loin du tumulte de certains autres épisodes parisiens de la saga naturaliste de Zola. Il se plait à dépeindre le cadre de vie de la bourgeoisie, celle qui vit aisément sans gagner des millions et sans être invités aux Tuileries. Ici, on est dans l'intime, dans le familial, au cœur d'un quartier tranquille à l'écart de l'énergie de la ville. Hélène Grandjean, née Mouret, vit dans un petit appartement cossu qui possède une vue plongeante sur tout Paris. La ville aperçue uniquement de loin est la toile de fond. Le passage des heures et le changement de temps sur la capitale et son ciel, qui occupent une bonne partie des descriptions poétiques, rythment en quelque sorte les états d'âme d'Hélène et de sa fille Jeanne, à la santé fragile, sauf quand elles descendent se prélasser dans l'agréable petit jardin attenant des Deberle.

Mais à toute bonne chose, il y a une fin et Hélène va l'apprendre à ses dépens en tombant amoureuse d'Henri Deberle sous les yeux catastrophés de Jeanne et au nez et à la barbe de l'insouciante Juliette Deberle, l'épouse. Celle-ci est mon personnage favori du roman, le plus vivant, le plus abouti avec sa personnalité bienveillante et pourtant si complètement égoïste. Comme vous l'imaginez bien, les histoires d'amour finissent mal en général, surtout chez Émile Zola, et cette page d'amour belle et digne va connaître une fin tragique.

Folio classique - pages 83 et 84

Ce matin-là, Paris mettait une paresse souriante à s'éveiller. Une vapeur, qui suivait la vallée de la Seine, avait noyé les deux rives. C'était une buée légère, comme laiteuse, que le soleil peu à peu grandi éclairait. On ne distinguait rien de la ville, sous cette mousseline flottante, couleur du temps. Dans les creux, le nuage épaissi se fonçait d'une teinte bleuâtre, tandis que, sur de larges espaces, des transparences se faisaient, d'une finesse extrême, poussière dorée où l'on devinait l'enfoncement des rues ; et, plus haut, des dômes et des flèches déchiraient le brouillard, dressant leurs silhouettes grises, enveloppés encore des lambeaux de la brume qu'ils trouaient.

 

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