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Le soleil des Scorta (Laurent Gaudé)

Le soleil des Scorta - Laurent Gaudé

Ils sont venus, ils sont tous là

Je l'ai parfois dit, c'est l'émotion et la justesse du récit que je recherche principalement dans la fiction. Probablement davantage que le divertissement pur ou même l'opportunité d'apprendre quelque chose. Il y a forcément des contre-exemples dans mes lectures passées mais j'ai vraiment la sensation que lorsque les circonstances sont éloignées de moi, que je ne peux  pas m'identifier aux situations ou aux personnages, le plaisir en est limité. A contrario, plus l'empathie est possible, plus l'émotion survient.

En ce sens, la famille italienne soit-disant maudite du roman de Laurent Gaudé, dont le lecteur suit les hauts et les bas sur une centaine d'années, m'est apparue excessivement peu tangible. Le cadre irréel des Pouilles rurales, les liens du sang, l'honneur, les hommes implacables, la religion superstitieuse, le poids des racines et des traditions la font davantage ressembler à un conte qu'à une saga familiale dans laquelle on peut se retrouver. Les Scorta naissent, vivent et meurent un peu trop rapidement pour qu'on apprenne à les connaître véritablement et donc à s'attacher à eux. Heureusement le roman véhicule quelques propos humanistes chargés de sens, telle que l'idée de saisir le bonheur avant qu'il ne se sauve ou celle que la présence de chacun sur Terre ne vaut que par sa capacité à transmettre son minuscule message à la génération suivante.

Ce qui rend à mon sens le livre brillant, digne d'un prix Goncourt, c'est son écriture littéraire et pourtant dépourvue de lourdeur, qui sait convoquer les images chez le lecteur. Dès la première page, j'ai été expédié manu militari à Montepuccio. J'ai tout de suite visualisé le village reculé frappé d'insolation, les habitants barricadés pour la sieste, le curé tout-puissant, le paysage aride, les champs d'oliviers, la mer éblouissante ...

Babel - page 271

Il trouva dans cette idée une forme étrange de réconfort. Il avait moins peur de la mort lorsqu'il se mettait à penser à tous ceux qu'il connaissait et qui avaient déjà fait ce passage. Comme un enfant qui tremble devant le fossé à franchir mais qui, voyant ses camarades sauter et passer de l'autre côté, s'enhardit et se murmure à lui-même : "S'ils l'ont fait, je peux bien le faire". C'est exactement ce qu'il se disait. Si tous ceux-là étaient morts, qui n'étaient ni plus braves ni plus aguerris que lui, alors il pouvait bien mourir  à son tour.

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