Une nounou d'enfer
Le prix Goncourt 2016, omniprésent en ce moment sur les étalages des libraires, me souriait avec sa couverture bleu pastel et son titre apaisant. A l'intérieur, c'est une tout autre chanson ... nettement moins douce. Dès le début, heureusement je dirais, on nous annonce la couleur : ça va mal se finir pour le couple Massé, jeunes parisiens bourgeois bohême qui embauche Louise pour s'occuper de leurs deux enfants en bas âge. Louise est la nounou parfaite. Tellement parfaite et indispensable qu'elle devrait inquiéter ces jeunes parents, trop contents pourtant de fermer les yeux sur sa disponibilité excessivement maniaque. Car pourquoi s'en plaindre quand on peut ainsi poursuivre sa brillante carrière et retrouver le soir venu ses enfants et la cuisine torchés ?
Chanson douce n'est pourtant pas un thriller psychologique dans le genre de La main sur le berceau. Il n'y a pas de suspense en tant que tel puisque l'épilogue est rapidement connu du lecteur. L'objet du roman est davantage de dépeindre un milieu et de faire le portrait d'une inadaptée sociale que de distraire le lecteur en lui faisant peur. Pour autant, un subtil malaise s'installe progressivement chez le lecteur autant que chez les parents. Chaque protagoniste est crédible, non caricatural. A commencer par la nounou dont on capte le point de vue au même titre que celui des autres. On entend son désarroi et sa sourde animosité grandir. La future coupable sème sur son passage les indices de sa folie. Dans ces conditions, nul besoin d'une structure complexe et de détails sordides pour faire monter la tension jusqu'au drame.
Ce roman méritait-il un Goncourt ? Je n'en ai aucune idée mais sans aucun effet de style apparent, l'écriture de Leïla Slimani est parvenu a m'emmener, avec justesse et l'air de rien, vivre de l'intérieur le fait divers le plus terrifiant qui soit.
Folio - page 182
Hector sort dans la rue, dans la chaleur du mois de juin. Les filles sont belles et il a envie de grandir, d'être libre, d'être un homme.Ses dix-huit ans lui pèsent, il voudrait les laisser derrière lui, comme il a a laissé sa mère devant la porte du commissariat, hébétée, transie. Il se rend compte que ce n'est pas la surprise ou la stupéfaction qu'il a d'abord ressenties tout à l'heure, face à la policière, mais un immense et un douloureux soulagement. Une jubilation, même. Comme s'il avait toujours su qu'une menace avait pesé sur lui, une menace blanche, sulfureuse, indicible. Une menace que lui seul, de ses yeux et de son coeur d'enfant, était capable de percevoir. Le destin avait voulu que le malheur s'abatte ailleurs.Le capitaine a eu l'air de le comprendre. Tout à l'heure, elle a scruté son visage impassible et elle lui a souri. Comme on sourit aux rescapés.
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