"La grippe, moi, je la fais en marchant"
Trouver sa place. La place dans la société pour une jeune fille quittant le modeste cocon familial pour étudier les lettres modernes dans une grande ville ? Ou la place de son père, homme à la fois humble et fier, le complexe de ses origines ouvrières chevillé au corps, tout autant terrifié à l'idée d'être méprisé pour sa condition par les gens instruits que de laisser ses propres pairs s'imaginer qu'il la renie. "Il ne faut pas péter plus haut qu'on l'a" comme on dit chez lui en Normandie.
Je connais à peine Annie Ernaux, mais j'ai la sensation qu'à travers ce récit, elle parle autant d'elle que de son paternel auquel elle consacre pourtant un livre. Par une tournure épurée qui peut même laisser croire à une absence de style, elle fait le portrait d'un honnête homme comme il y en a probablement des milliers en France. Des faits, des anecdotes, des souvenirs, des impressions qui n'ont l'air de rien mais qui résument une vie ordinaire bien remplie par les efforts quotidiens et les plaisirs simples.
On lit quelques pages et on se dit avec un début de déception : "Il ne s'agit que de ça ?". Et soudain, sans qu'on s'en rende compte, un basculement se produit et on se retrouve tout à coup frappé au cœur par cet homme et par le regard lucide et faussement détaché de sa fille. Le propos est profondément intime sous une apparence d'objectivité. C'est la belle force de ce livre plutôt court, qui laisse tout de même un petit goût d'inachevé en bouche quand on le referme (faut-il d'ailleurs comprendre quelque chose du dernier paragraphe ?). Mais je crois savoir, au regard de l'œuvre autobiographique de l'auteure, que La place n'est qu'une parcelle de son introspection.
On lit quelques pages et on se dit avec un début de déception : "Il ne s'agit que de ça ?". Et soudain, sans qu'on s'en rende compte, un basculement se produit et on se retrouve tout à coup frappé au cœur par cet homme et par le regard lucide et faussement détaché de sa fille. Le propos est profondément intime sous une apparence d'objectivité. C'est la belle force de ce livre plutôt court, qui laisse tout de même un petit goût d'inachevé en bouche quand on le referme (faut-il d'ailleurs comprendre quelque chose du dernier paragraphe ?). Mais je crois savoir, au regard de l'œuvre autobiographique de l'auteure, que La place n'est qu'une parcelle de son introspection.
Folio - page 57
Ils ont pu embellir la maison, supprimant ce qui rappelait l'ancien temps, les poutres apparentes, la cheminée, les tables en bois et les chaises en paille. Avec son panier à fleurs, son comptoir peint et brillant, les tables et les guéridons en simili-marbre, le café est devenu propre et gai. Du balatum à grands damiers jaunes et bruns a recouvert le parquet des chambres. La seule contrariété longtemps, la façade à colombage, à raies blanches et noires, dont le ravalement en crépi était au-dessus de leurs moyens. En passant, l'une de mes institutrices a dit une fois que la maison était jolie, une vraie maison normande. Mon père a cru qu'elle parlait ainsi par politesse. Ceux qui admiraient nos vieilles choses, la pompe à eau dans la cour, le colombage normand, voulaient sûrement nous empêcher de posséder ce qu'ils possédaient déjà, eux, de moderne, l'eau sur l'évier et un pavillon blanc.
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