Coup d'état permanent
Ils vont tuer Robert Kennedy est un roman ambitieux sur les assassinats de John et Robert Kennedy en 1963 et 1968. Pour l'étude de cette décennie compliquée de la vie politique américaine, Marc Dugain, que je découvre ici pour la première fois, a sans nul doute fait un gros travail de recherche.
La lecture m'a paru plutôt ardue, non pas parce que la plume ne serait pas vivante et fluide ou les explications insuffisantes ou peu claires, mais parce que les évènements racontés sont opaques puisqu'ils dissimulent enjeux et actions qui échappent à l'immense majorité d'entre nous. L'auteur prend le parti de narrer ces épisodes comme si conspiration et réalité historique ne faisaient qu'un. En tout cas, c'est ainsi que je l'ai ressenti. Les Russes, Fidel Castro, la mafia, le complexe militaro-industriel, les producteurs texans de pétrole, les concurrents républicains et démocrates des frères Kennedy ... tous ont un rôle coupable dans cette réinterprétation de l'Histoire officielle. Lee Harvey Oswald et Sirhan Sirhan ne sont que des pions sur un échiquier nébuleux et insaisissable. Pour un lecteur peu renseigné, la frontière entre version officielle et son pendant complotiste est floue et du coup, la lecture en est perturbante.
C'est surtout vrai pour la partie du récit concernant JFK. La situation m'a paru plus simple lorsque survient l'assassinat de son frère Robert presque cinq ans après. Il s'agissait de barrer l'arrivée au pouvoir d'un homme potentiellement rancunier qui s'apprête alors à remporter l'investiture démocrate aux élections présidentielles de fin d'année. L'auteur démonte détail après détail la version officielle de l'attentat de l'hôtel Ambassador, qui se déroule dans un cadre plus intimiste et donc plus concret et graphique pour le lecteur que celui de Dallas.
Cela dit, la bonne idée du livre reste d'avoir su intégrer une vraie fiction comme personnage secondaire. Mark O'Dugain 😄, un universitaire persuadé que la mort de ses deux parents dans des circonstances suspectes est liée d'une façon ou d'une autre au destin des Kennedy, mène une enquête très personnelle au risque de perdre le contrôle de sa vie. Cette petite histoire dans la grande Histoire est une bouffée d'air frais au milieu d'une lecture exigeante. Elle apporte un enjeu supplémentaire, certes plus négligeable mais qui allège le roman de Marc Dugain.
En refermant ces pages après un étonnant et intéressant épilogue, on se pose une question. L'auteur veut-il nous donner sa version de l'histoire, la forme du roman lui permettant de faire passer la pilule ? Ou souhaite-il (ré)enclencher notre esprit critique, nous aider à nous poser des questions sur les vérités assénées, les officielles comme les complotistes qui fleurissent grâce à internet ?
Gallimard - page 198
Il commence à y penser sans trop en parler. Il vise 1972. L'élection de 1968 semble être barrée par une probable réélection de Johnson, qui donne pourtant les signes d'un homme vieillissant, fatigué, de plus en plus psychologiquement paranoïaque au point de faire écouter ses adversaires sur la liste desquels "l'avorton Kennedy" figure en bonne place. Hoover est au bout du fil. Contrairement à Jack, Bobby ne cède pas à la frénésie sexuelle compulsive. Mais sa relation avec Jackie est une bombe qui pourrait exploser à l'heure qui conviendrait le mieux à ceux qui haïssent le dernier de la portée Kennedy. Que dirait la ménagère américaine d'un sémillant altruiste qui trompe sa femme, mère d'enfants à la dizaine, avec la veuve de son frère ? En ont-ils vraiment la preuve ? Pensent-ils à s'en servir comme ils avaient imaginé lancer à la face du monde toutes les conquêtes de JFK. C'est que la déstabilisation morale est aléatoire, beaucoup plus aléatoire que des tirs croisés.
C'est vraiment un contexte qui m'intéresse, mais pas sûr que je franchisse le cap, ça me fait un peu peur, peur de l'ennui, du trop documenté justement.
RépondreSupprimerSalut, oui c'est très documenté effectivement. C'est un roman-essai d'une certaine manière.
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