Un amour pour voir
Une lectrice qui me suit m'a mis ce livre entre les mains et je la remercie car je n'aurais pas su quoi lire de Jean d'Ormesson, dont je ne connais pas l'oeuvre littéraire d'une (longue) vie.
En nommant son roman ainsi, je vois bien ce que l'écrivain a voulu signifier. L'amour de Philippe, le narrateur, pour la jolie Béatrice est un amour malheureux, et sûrement voué à l'échec dès le début tant les deux amants sont différents et non synchronisés. Lors de leur insouciant séjour romain, le jeune homme préfère mordre la vie et les femmes à pleines dents tandis que sa romantique compagne s'enflamme pour lui seul. Lorsque finalement, lassée, elle se détachera, il se mettra à regretter amèrement son inconduite. A se demander si la souffrance qu'il ressent alors n'est pas plutôt une forme d'amour-propre blessé, la conséquence du désamour de la belle, de la fin de non-recevoir qu'elle lui oppose. Pour en revenir au titre du livre, un commerce amoureux qui n'aboutit pas à la félicité, sinon éternelle du moins durable, est-il pour autant "un amour pour rien" ? On peut imaginer que cette mésaventure a marqué durablement Philippe et l'a fait progresser dans ses relations avec la gente féminine puisqu'il en parle au passé et avec amertume dès les premières lignes du roman. Cet amour fou semble avoir été la grande épreuve de sa vie et ... ce qui ne tue pas, rend plus fort.
Jean d'Ormesson, déjà en 1960, écrivait fort bien. Son roman ressemble souvent à un essai sur l'amour passion car ses pages sont remplies de digressions quasi-philosophiques sur le sujet. L'occasion pour lui d'aligner de jolies phrases bien tournées qui sonnent bien et qui, de surcroît, ont du sens. C'est tout de même un peu ampoulé à mon goût et cela a pu me faire lire un peu trop vite certains paragraphes pas assez concrets. J'espère avoir l'occasion de vérifier si, oui ou non, Un amour pour rien est représentatif de l'œuvre de l'académicien.
Folio - pages 92 et 93
Et, de nouveau, je pensais que l'amour, comme la fortune, est surtout cumulatif. Je veux dire que l'amour naît fréquemment de l'amour et qu'un homme aimé se demande aisément si tout le monde ne l'aime pas. La jeune femme blonde que je croisai dans le hall de l'hôtel, il me semblait que je n'avais qu'à lever les yeux sur elle pour qu'elle vînt se jeter dans mes bras. Tout se passe comme si l'amour engendrait l'amour. Et ma suffisance naturelle me poussait à imaginer que, de Françoise en Béatrice et de Béatrice en Roselyne, j'allais finir par échouer enfin, pour un temps très bref et avant de nouvelles aventures, entre les bras de la jeune femme blonde du hall de l'hôtel Quirinal.
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