Le centre d'un monde
Entre deux romans est venu s'intercaler cet ouvrage historique écrit par Pierre Péan, journaliste d'investigation et auteur de nombreux livres dits polémiques, notamment de politique française. Pour celui-ci, il est surtout Sabolien, c'est à dire natif de Sablé-sur Sarthe, tout comme ma mère, un an plus jeune que lui, qui m'a mis ce livre entre les mains.
L'auteur n'avait que deux ans à l'arrivée des Allemands et six à leur départ, donc ses souvenirs sont sommaires mais grâce à ses recherches et accointances dans la région, il parvient à réunir un grand nombre de témoignages, anecdotes, faits d'actualité, évènements de la vie des gens de sa ville, parfois de son entourage immédiat, c'est à dire les "petites histoires" au milieu de la grande Histoire. Car évidemment Sablé a connu ce que toute ville de la France occupée a connu : le départ des proches, l'arrivée des Boches, la vie quotidienne rendue compliquée, la collaboration, active et
passive, les faits de résistance, actifs comme passifs, les
bombardements des alliés, la libération par les GI et les FFI, la purge d'après-guerre etc ... L'éclairage est à mes yeux particulièrement saisissant car il est borné à une
petite ville sarthoise qui forme avec ses patelins immédiats (Solesmes, Précigné, Juigné, etc...) une sorte de pays à petite échelle avec sa propre dynamique. C'était encore en partie vrai à une époque où l'interconnexion était infiniment
moindre et où les enjeux locaux étaient primordiaux. A ce titre, Ma petite France
nous en apprend aussi pas mal sur la vie politique de Sablé, ses
rivalités entre la droite chrétienne et la gauche radicale, les
revirements entre pétainisme et gaullisme, les petits arrangements de chacun avec
ses propres convictions ne serait-ce que pour s'en sortir ...
La ville a évidemment vécu durement l'occupation allemande. L'horreur des arrestations de juifs et de résistants, la souffrance des réfugiés de l'exode et le déchirement des départs pour le STO sont comme partout ailleurs dans le pays. La sensation que j'en ai gardée est que Sablé a pourtant, bon an mal an, vécu cette période dans de meilleures conditions que de plus grandes villes où les Allemands et la police française étaient davantage sur les dents et où le ravitaillement en nourriture était plus malaisé en l'absence de jardins et élevages aux alentours.
Ce qui est en revanche certain, c'est que j'ai énormément aimé revivre l'Histoire de France par le prisme d'un endroit familial et familier.
Albin Michel - pages 7 et 8
J'ai appris - quand ? je ne me rappelle plus - qu'un certain "Papillon", un "collabo", avait été exécuté ce 8 août 1944, le jour de la libération de Sablé-sur-Sarthe, vers vingt heures trente, dans le jardin de la gendarmerie. J'avais six ans. Le lendemain, alors que les GI et la division Leclerc étaient encore de l'autre côté de la Sarthe, dans une ville scindée en deux parce que les Allemands avaient, en partant, fait sauter le pont reliant les deux rives, j'assistais, rue Saint-Nicolas, à moins de cent mètres du salon d'Eugène Péan, à la tonte, par des jeunes portant fièrement un brassard FFI, de la chevelure de Mme Angèle.
Les "libérateurs" avaient d'abord fait irruption dans son petit salon de coiffure, avaient mis la coiffeuse en combinaison, avant de l'installer brutalement sur une chaise devant le salon. Là, au milieu d'une foule vociférante, ils l'avaient tondue, puis avaient dessiné des croix gammées sur son crâne nu et sur sa poitrine.... Ma mère, horrifiée, était venue en courant m'arracher à ce terrible spectacle.
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