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La mémoire des embruns (Karen Viggers)


Bout de monde


Mary est la veuve d'un gardien du phare de Cape Bruny à l'extrême sud de l'île Bruny, elle-même au sud de la Tasmanie, grand île au large de la côte méridionale de l'Australie. Autant dire que de la vigie au sommet de la tour ronde et blanche, elle apercevrait, si c'était possible, l'Antarctique, continent glacé où, il y a neuf ans, son plus jeune fils Tom passa un hiver rude.  La santé de Mary décline et un homme de son passé menace de dévoiler un secret de jeunesse ... Elle part se réfugier sur l'île où tant de souvenirs abondent. Il est temps de rendre un dernier hommage à son mari, à sa vie.

L'ambiance est posée. On est dans un bout de monde au bout du monde. Les hommes sont rares et taiseux, la nature est imposante et sans concession, les sentiments sont violents, comme les éléments. L'océan grandiose est intégré à chaque page. Il apporte son parfum, les embruns fouettent le visage, les albatros frôlent la surface de l'eau, l'horizon est sans fin. Tout y est pour raconter le manque, les regrets, la nostalgie, la pudeur, l'incompréhension entre les êtres. Mais du néant surgit aussi la magie des rencontres, les pages qui se tournent, l'espoir qui renaît ...

Bon, maintenant je veux visiter la Tasmanie, arriver dans l'île Bruny par bac, jeter un oeil à chaque recoin, marcher sur la plage de Cloudy Bay, monter au phare et regarder plein sud vers l'Antarctique, lieu éblouissant, hypnotique et dangereux grâce à la puissance d'évocation de La mémoire des embruns.

Le Livre de Poche - page 503

A l'extrémité du parking, je tourne la tête vers le Grand Sud. L'horizon s'étire entre les deux promontoires rocheux qui enlacent la baie comme deux longs bras. Rien ne fera taire l'appel de la mer. Au bord du sable, les déferlantes sont teintées de rouge. Nulle part ailleurs qu'ici je n'ai assisté à ce phénomène : la couleur du sang injectée dans les vagues jaillit avec l'écume au moment où elles se gonflent avant de se briser. Aujourd'hui, j'y vois la vie de ma mère qui s'échappe. D'un pas chancelant, je gagne le sentier et marche vers l'ouest jusqu'à un banc humide sur lequel je m'assieds. La tête dans les mains, je presse mes paumes contre mes yeux et je chute sans fin dans des spirales de couleurs.

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