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La faute de l'abbé Mouret (Émile Zola)


L'envers du paradis


Le cinquième épisode de la série naturaliste des Rougon-Macquart m'a beaucoup moins emballé que les précédents. Pourtant épaté par la plume brillante d'Émile Zola, je me suis surpris, à de nombreuses reprises, à lutter pour ne pas sauter des passages entiers de La faute de l'abbé Mouret. L'ennui me gagnait alors que je ne voyais pas l'intrigue avancer, ou plutôt décoller. Celle-ci, en effet, se réduit souvent à une sorte de huis-clos entre Serge Mouret, sa jeune maîtresse Albine, la nature luxuriante et un Dieu omniscient. Des pages et des pages de description de l'étouffant paradis qui abrite les amours coupables d'un prêtre de campagne et à peine moins des bonheurs et supplices que lui occasionne la religion. Les interactions des deux héros avec les autres villageois sont peu nombreuses et font, pour le coup, cruellement défaut. Elles auraient pourtant été plus que bienvenues pour donner du relief au récit de cet épisode très contemplatif. La conquête de Plassans ne comportait pas de tels passages et les romans précédents avaient le sujet de leur côté malgré parfois de pleines pages de description (Le ventre de Paris, La Curée...).

Dans La faute de l'abbé Mouret, aucune référence n'est faite au monde extérieur, au reste des familles Rougon et Macquart (sauf l'oncle Pascal) ou aux splendeurs et décadences du Second Empire. Rien n'aide donc le lecteur à tenir la barre, mis à part quelques personnages secondaires qui jalonnent heureusement le roman et qui ont apporté à ma lecture une salutaire bouffée d'oxygène. Par leurs caractères affirmés, ils parviennent à insuffler un peu de vie au drame amoureux d'Albine et Serge, personnages "blancs", plaintifs et lassants. La joyeuse et simple Désirée, la caractérielle et attachante Teuse et l'horrible frère Archangias constituent, à mes yeux, la colonne vertébrale d'un roman qui prend sinon souvent des airs de languissant poème en prose.

Cette oeuvre n'en est pas moins exemplaire dans sa structure en triptyque (prêtre exemplaire / prêtre défroqué / prêtre repentant), dans la richesse de la langue, le foisonnement des détails, la critique sous-jacente du petit clergé et le symbolisme qui transpire de l'adaptation libre du couple originel chassé du jardin d'Eden. Malgré l'ennui qu'il m'a occasionné, cela reste du Zola. J'espère juste qu'il restera le seul de la saga qui ne m'aura pas emporté.

Le Livre de Poche - page 370


Le prêtre semblait ne plus entendre. Il s'était remis en prières, demandant au ciel le courage des saints. Avant d'engager la lutte suprême, il s'armait des épées flamboyantes de la foi. Un instant, il craignit de faiblir. Il lui avait fallu un héroïsme de martyr pour laisser ses genoux collés à la dalle pendant que chaque mot d'Albine l'appelait : son cœur allait vers elle, tout son sang se soulevait, le jetait dans ses bras, avec l'irrésistible désir de baiser ses cheveux. Elle avait, de l'odeur seule de son haleine, éveillé et fait passer en une seconde les souvenirs de leur tendresse, le grand jardin, les promenades sous les arbres, la joie de leur union. Mais la grâce le trempa de sa rosée la plus abondante ; ce ne fut que la torture d'un moment, qui vida le sang de ses veines, et rien d'humain ne demeura en lui. Il n'était plus que la chose de Dieu.

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