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Je m'appelle Asher Lev - Chaïm Potok

 

Une lubie de goy


Je m’appelle Asher Lev, ou le parcours d’un garçon de la communauté juive hassidique de Brooklyn qui reçoit du Ribbono Shel Olom, autrement dit Dieu, le don précieux de savoir dessiner avec facilité et inspiration. Malheureusement l’art et la religion lorsqu’ils sont exercés sans concession, sont incompatibles. Petit, Asher n’a pas réellement conscience de son talent subversif, et ensuite quand il grandit, celui-ci s’impose à lui sans qu’il ne puisse rien faire d'autre que de s'y adonner sans limite. Le jeune artiste sera au bout du compte soutenu, et parfois même encouragé, par son entourage, son père excepté. Cet aspect de l’histoire m’a indéniablement séduit car quand l'amour et/ou la bienveillance sont présents, tout devient possible. En tout cas jusqu’à un certain point ... A contrario, Asher Lev paraît finalement davantage subir son chemin que de le choisir. Ce sont les autres, les religieux et les artistes, qui décideront en tout pour lui comme s’il n’avait aucun choix à faire, comme si son génie artistique le dédouanait de tout. L’asservissement à l’art et l’idée qu’il est impossible d'échapper à son génie, est un des sujets principaux du roman. Asher a, lui, un défi supplémentaire par rapport aux autres artistes : s'affranchir d'une culture exigeante, à défaut de sa foi, et du regard écrasant de ses parents.
 
L’écriture est remarquable. Chaïm Potok parvient, avec un sens du rythme et sans inclure pathos ni drames excessifs, à parfaitement faire ressentir au lecteur l’état d’esprit d’Asher Lev alors que celui-ci paraît souvent stoïque et inaccessible en apparence (combien de fois lit-on « Je ne dis rien »). Pour le reste, c’est un roman enrichissant qui nous permet de découvrir de l’intérieur une minorité religieuse assez fermée, par réflexe de protection de sa foi et de ses traditions et par désir de reconstruction en ces années d’après-guerre.
Un beau roman initiatique.

10/18 – pages 224 et 225


- Est-ce que tu te rends compte ? me demanda-t-il en élevant la voix. Comprends-tu ce que tu vas faire ? Comprends-tu maintenant ce qu’a fait Picasso ? Même Picasso, le païen, a dû le faire ! On ne peut pas y échapper. Tu me comprends, Asher Lev ? Ce n’est pas un jeu. Il ne s’agit plus de barbouillages enfantins sur les murs. C’est une tradition, une religion, Asher Lev ? Tu vas devoir te convertir à une religion qui s’appelle l’art. Elle a ses fanatiques et ses rebelles. Je veux que tu saches la maîtriser. Tu m’entends ? Personne ne voudra t’écouter s’il n’est d’abord convaincu que tu en es bien maître. Seul celui qui a pu se rendre maître d’une tradition a le droit d’y ajouter quelque chose ou au contraire de la rejeter ? Tu me comprends, Asher Lev ?
J’acquiesçais.
- Asher Lev, c’est une tradition de goyim et de païens. Ses valeurs sont celles des goyim et des païens. Ses concepts aussi. Son mode de vie également. Dans toute l’histoire de l’art en Europe, on ne trouve pas un seul juif observant qui ait été un grand peintre. Pèse bien cela avant de te décider. Il n’y a pas que le Rèbbe qui me pousse à te dire ça. Je n’ai pas envie de travailler des années avec toi pour qu’un beau jour tu viennes me dire que tu t’es trompé. Tu comprends ?



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