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La curée (Émile Zola)


Or et gravats


On avait laissé Aristide Rougon, personnage secondaire de La fortune des Rougon, dans la petite ville provençale de Plassans tandis que son père achevait d'y faire son trou au moment de la prise de pouvoir de Louis-Napoléon Bonaparte. Dans La curée, Napoléon III est bien assis sur son trône et a arrêté la décision de remodeler sa capitale au travers des grands travaux dits haussmanniens. Aristide, renommé Saccard, débarque à Paris et grâce à l'appui de son frère ministre va participer à la "curée", c'est à dire au dépeçage de la ville mené par des spéculateurs sans scrupule qui achètent des terrains à bâtir avant même que les propriétaires et locataires en place ne sachent qu'ils seront frappés par l'expropriation et donc condamnés à voir les constructions existantes complètement rasées.

Parallèlement à cette intrigue politico-financière, Émile Zola dresse un portrait édifiant de la haute société de l'époque qui vit souvent au-dessus de ses moyens, en tout cas sans penser que le robinet continu d'argent frais pourrait se tarir à tout moment. Malgré tout, elle se précipite sur le buffet de peur qu'il n'y en ait pas assez pour tout le monde. C'est le cas de Renée, épouse excentrique et oisive de Saccard, qui brille comme un joyau aux Tuileries et dans son hôtel particulier du parc Monceau. Contrairement à son époux, dépourvu de  conscience, elle souffrira de ses amours coupables avec son beau-fils Maxime.

Une fois encore, et ce n'est que le début avec la série des Rougon-Macquart, La Curée apporte un éclairage au vitriol et plus vrai que nature à l'un des nombreux aspects du Second Empire. Les siècles suivants rendent hommage à la capitale majestueuse qui a résulté de ces travaux initiés par un régime autoritaire, mais grâce à ce roman, on a une petite idée du chambardement dans le Paris de l'époque quand bien même l'auteur adopte ici le point de vue de sa sphère la plus dorée. Une scène en particulier illustre très bien la situation : Les membres de la commission de dédommagement des expropriations, dont Saccard, "se promènent" au coeur du chantier des immeubles en démolition d'un boulevard à venir (futur boulevard Voltaire). Une partie de la ville n'est que gravats mais ces hommes n'ont que faire du peuple de Paris.

Grand travaux et affairisme honteux, élite flambeuse et débauchée, passion dangereuse ... du bon Zola comme d'habitude. Je perçois un unique défaut : une fin qui arrive un peu trop vite. Cela évite toutefois un misérabilisme dont l'auteur naturaliste a usé plus d'une fois.

Pocket - page 107


"C'est la colonne Vendôme, n'est-ce pas, qui brille là-bas ?...Ici, plus à droite, voilà la Madeleine... Un beau quartier, où il y a beaucoup à faire... Ah ! cette fois, tout va brûler ! Vois-tu ?... On dirait que le quartier bout dans l'alambic de quelque chimiste."
Sa voix devenait grave et émue. La comparaison qu'il avait trouvée parut le frapper beaucoup. Il avait bu du bourgogne, il s'oublia, il continua, il continua, étendant le bras pour montrer Paris à Angèle qui s'était également accoudée à son côté :
"Oui, oui, j'ai bien dit, plus d'un quartier va fondre, et il restera de l'or aux doigts des gens qui chaufferont et remueront la cuve. Ce grand innocent de Paris ! vois donc comme il est immense et il s'endort doucement ! C'est bête ces grandes villes ! Il ne se doute guère de l'armée de pioches qui l'attaquera un de ces beaux matins, et certains hôtels de la rue d'Anjou ne reluiraient pas si fort sous le soleil couchant, s'ils savaient qu'ils n'ont plus que trois ou quatre ans à vivre."



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