Français des villes, François Deschamps
Après La
nuit des temps et Le grand secret, c’est le troisième roman d’anticipation que
je lis de René Barjavel, un auteur fascinant de par sa plume, son inventivité
et les idées qu’il aime véhiculer. Ravage, sorti en 1943, ne vole pas son titre
tant les mésaventures de François et Blanche sont dramatiques et dantesques.
Ils vivent en 2052 dans un monde où la plupart des êtres humains ont laissé aux
machines le soin de faciliter leurs tâches quotidiennes. François débarque à
Paris pour retrouver sa « Blanchette » et s’aperçoit qu’il va devoir
la sauver d’elle-même. Au bout du compte, il devra la sauver tout court car une
terrible catastrophe se dessine. Elle fera des ravages …
C’est un
sacré bouquin. Déjà, l’auteur possède une belle imagination lorsqu’il propose une
vision plutôt créative de l’avenir de notre civilisation. En plein milieu du 20ème
siècle, il parvient à présenter un monde futur foisonnant de progrès
technologiques et d’évolutions bien vues de notre société, même s’il passe à
côté de certains paramètres essentiels de l’actuelle mondialisation comme les
ordinateurs ou l’émancipation de la femme. Mais qui sait à quoi ressemblera
2052 ?
Mais le plus
réussi dans ce roman d’anticipation (de dystopie ?), c’est l’épique traversée
de la France du nord au sud en plein décor apocalyptique. C’est superbement
écrit, le lecteur endurant presque de l’intérieur le calvaire des protagonistes
dans un univers où la nature, y compris celle de l’Homme, a repris ses droits
sans règles ni garde-fous. Malgré toute cette noirceur, il est étonnant de
voir, à l’instar des deux autres romans déjà cités, comment l’écrivain fait
saillir de temps en temps de ses histoires des bribes d’amour pur, d’émerveillement et d'espoir, comme la candide traversée de la vallée d’Auvergne habitée
par deux petits vieux.
La dernière
partie du roman est saisissante, pour ne pas dire perturbante. Je ne suis pas certain d'adhérer à la morale de l'histoire mais l'épilogue a l’avantage de proposer une alternative logique aux
excès de l’humanité dépeints dans Ravage que René Barjavel commence, je suppose, à pressentir en son
temps.
Folio - page 260
Le garde s'est remis à pleurer, à sanglots nerveux, qui ne peuvent plus s'arrêter. Le cheval qui reste râle. Un arbre craque, puis un autre. Les hommes couchés voient la herse des arbres nus monter dans le ciel parmi les étoiles. La chaleur se dissipe, le charbon se contracte, les troncs se fendent. Le crépitement de la forêt s'accélère, peuple la nuit. Une brise se promène parmi les colonnes desséchées, saute en bonds légers d'une cime à l'autre, passe en chantant à travers une fente, lève à terre un fantôme de cendres, le pousse jusqu'à la vallée. Des milliers d'arbres morts étirent leurs os.
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