Après avoir lu 'Ulysse from Bagdad' et 'L'enfant de Noé',
je n'avais pas spécialement envie de remettre le couvert de sitôt avec
un livre
d'Eric-Emmanuel Schmitt car il existe tellement d'auteurs à lire.
Mais on a réussi à me convaincre de découvrir 'La part de l'autre'. Et
effectivement, je confirme, ce roman est incomparablement
meilleur que les deux autres. C'est même un sacré bon bouquin rempli
de réflexions pertinentes à tout instant. La brillante idée de départ
consiste à refaire l'Histoire de l'Europe
en partant de ce constat : Que se serait-il passé si, en 1908,
l'école des beaux-arts de Vienne n'avait pas recalé Adolf Hitler ? Que
serait-il arrivé si, lors de cette "minute qui a changé le
cours du monde", il avait été flatté dans ses velléités d'artiste ?
Serait-il devenu cet atroce dictateur s'il s'était ensuite épanoui dans
la peinture ?
A partir de là, l'écrivain raconte de manière parallèle les deux
trajectoires d'Hitler. La véritable, forcément romancée dans les
dialogues et les pensées du protagoniste, et l'hypothétique,
celle d'Adolf H, un artiste à l'esprit bohème qui fera son trou dans
le courant de la peinture surréaliste parisienne. J'ai adoré la
juxtaposition de ces deux visions,
mais surtout celle du dictateur. Schmitt nous laisse pénétrer ses
pensées, expose le cheminement intellectuel et affectif qui le mènera à
une guerre meurtrière et à un génocide
monstrueux. C'est une lecture assez étrange et presque dérangeante
car on se surprend parfois à éprouver presque une certaine compassion
pour cet orphelin sans ressource qui n'est pas encore
antisémite et qui s'enfonce ensuite dans sa folie. Il se sent
investi d'une noble mission en faveur de la nation allemande (comme
l'illustre le passage du livre à la fin du
billet). L'autre parcours, celui hypothétique d'Adolf H, est
forcément moins intéressant car plus conventionnel. Avec lui, le
vingtième siècle aurait été moins belliqueux et l'homme aurait été,
du moins en partie, oublié par l'Histoire. Il est amusant de
découvrir que dans cette version, l'Allemagne domine politiquement et
économiquement la planète des années soixante en lieu et
place des Etats-Unis (qui n'a pas bénéficié des retombées de la
seconde guerre mondiale).
Sinon, bien sûr, l'écriture est fluide et prenante ... Le passage
qui m'a tout particulièrement marqué est celui de la première guerre
mondiale qui agit comme un
révélateur pour Hitler mais est vécue comme une calamité par Adolf
H. Les descriptions des scènes de combat reflètent l'état d'esprit des
deux faces du personnage. C'est extrêmement bien écrit et
passionnant à lire.
Le Livre de Poche - page 460
Je crois qu'il existe deux sortes de monstres sur cette terre : ceux qui ne pensent qu'à eux, ceux qui ne pensent qu'aux autres. Autrement dit les salauds égoïstes et les salauds altruistes. Heinrich relève de la première catégorie car il met sa jouissance et sa réussite au-dessus de tout. Cependant si néfaste soit-il, il ne le sera jamais autant qu'un malfaisant de la seconde catégorie. Les salauds altruistes provoquent des ravages supérieurs car rien ne les arrête, ni le plaisir, ni la satiété, ni l'argent ni la gloire. Pourquoi ? Parce que les salauds altruistes ne pensent qu'aux autres, ils dépassent le cadre de la malfaisance privée, ils font de grandes carrières publiques. Mussolini, Franco ou Staline se sentent investis d'une mission, ils n'agissent à leurs yeux que pour le bien commun, ils sont persuadés de bien faire en supprimant les libertés, en emprisonnant les opposants, voire en les fusillant. Ils ne voient plus la part de l'autre. Ils essuient leurs mains pleines de sang dans le chiffon de leur idéal. ils maintiennent leur regard fixé sur l'horizon de l'avenir, incapables de voir les hommes à hauteur d'homme, ils annoncent à leurs sujets des temps meilleurs en leur faisant vivre le pire. Et rien, rien ne les contredira. Car ils ont raison à l'avance. Ils savent. Ce ne sont pas leurs idées qui tuent, mais le rapport qu'ils entretiennent avec leurs idées : la certitude.
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