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La nuit interdite - Thierry Serfaty


 

Qui dort décline

 

La prenante lecture de 'Demain est une autre vie', l'année dernière, m'a donné envie de récidiver avec la plume de Thierry Serfaty, un auteur qui aime, du fait de son cursus, raconter des histoires en creusant le passionnant sillon de la médecine. 'La nuit interdite' est un polar qui met en scène un jeune officier de police et une thérapeute du toucher qui vont prendre à bras le corps une enquête qui sort de l'ordinaire. En effet, le patient d'une clinique psychiatrique, endormi sous électrodes dans le cadre d'une thérapie expérimentale, visualise soudain dans un rêve de sa phase de sommeil paradoxal sa propre maison en train de brûler avec sa famille à l'intérieur, assassinée. L'incendie et le crime ont bien eu lieu. Le réveil sera douloureux, d'autant plus qu'il devra être durable ...
 
C'est la première fois, je crois, que je lis un "thriller scientifique" et j'ai été agréablement surpris d'apprendre des choses sur quelques ressorts de l'organe le plus impalpable, le plus mystérieux du corps humain : le cerveau. Il est vrai qu'en tant que néophyte en la matière, il n'est pas forcément aisé, à la lecture du roman, de faire la part des choses entre la véracité scientifique du propos et la pure imagination de l'écrivain, mais les thèmes abordés semblent sérieusement documentés et sont instructifs sans que les larges explications ne plombent l'intrigue le moins du monde. Qu'y-a-t-il de plus intrigant que le sommeil, les rêves, la mémoire et  l'amnésie ? C'est d'autant plus intéressant qu'à l'éclairage du roman, on a la sensation d'apprendre des choses sur son propre sommeil.
 
Plus friand de l'aspect psychologique que de l'action pure dans les fictions en général, j'ai apprécié les personnages principaux, Erick et Eva, qui voient leur personnalité et leur psychologie fouillée assez largement, notamment par le récit de leurs relations aux autres en dehors de l'enquête en cours. Ils en deviennent très attachants. Dans la même veine, l'émouvante incursion de l'enquêteur dans l'appartement d'une famille juive pratiquante pendant le shabbat est l'un de mes moments forts du roman.
 
Mis à part son talent pour poser des personnages et des ambiances, l'indéniable qualité de Thierry Serfaty dans 'La nuit interdite' comme dans 'Demain est une autre vie', est sa capacité à écrire d'excellentes scènes de suspens et de tension aux moments-clés du récit. Ces passages rattrapent largement quelques longueurs dues à des allers-retours qu'il fait faire à ses protagonistes entre Paris, Marseille et Rio qui, même s'ils sont utiles au développement et à la couleur de l'histoire, donnent l'impression qu'il a voulu rallonger la sauce d'une intrigue qui aurait mérité d'être un peu resserrée. Mais bon, l'une des marques des bons thrillers est, je crois, aussi d'être pris par l'histoire jusqu'à la fin. D'aucuns auront peut-être pu deviner le dénouement. Grâce notamment aux fausses pistes habilement distillées, je n'ai personnellement rien vu venir ...

Le Livre de Poche - pages 230 et 231

Erick longea les Buttes-Chaumont dans la nuit étrangement claire. A ses yeux, c'était un des rares parcs qui n'inspirait pas l'inquiétude, même en pleine obscurité. Il était souvent venu y courir jusqu'à une heure tardive, sans compter les tours du lac, au moment où l'absence et l'angoisse de mort réclamaient l'effort pour tout remède. Ses pas résonnèrent sur le boulevard désert. Il finit par croiser un homme et ses enfants, dont il reconnut le code vestimentaire et les coutumes des Juifs orthodoxes : une redingote noire, un chapeau, la barbe et des papillottes qui tombaient des tempes. Ce qui le frappait toujours, c'était ce pas pressé, ce regard qu'il avait toujours jugé fuyant - une façon de s'exclure du monde qui les entoure. Ce soir, la réalité lui apparut comme une évidence : ils étaient simplement ailleurs, déjà transportés dans leur univers spirituel, quittant la précarité et l'agressivité de la semaine pour accueillir Shabbat - le jour où la Création connut un terme pour faire place au repos. Lui n'avait joui d'aucune éducation religieuse : ses parents ne s'étaient souvenus de leur obédience catholique qu'à l'occasion du baptême de leur fils et s'étaient empressés de l'oublier ensuite. La foi transportait-elle au delà de la souffrance, comblait-elle le vide ? Il n'y avait jamais cru, mais si la religion était ne serait-ce qu'un refuge, il en voulait à ses parents de l'en avoir privé. Même si la mort injustifiable et le crime l'avaient conforté dans son athéisme, jusqu'ici. Un court instant, il se prit à envier la foi qui transporte, cette élévation inscrite sur le visage et les gestes de ces gens.

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