On a failli vivre dans un autre monde
Cela faisait un petit bout de temps que j'avais envie de lire un roman de Philip Roth. C'est chose faite avec 'The plot against America', un roman uchronique vers lequel je me suis dirigé presque par hasard et qui n'est pas sans me rappeler Fatherland, lu il y a quelques mois, même s'il ne s'agit pas ici d'un polar mais plutôt d'une chronique familiale sur fond d'intrigue politique (inter)nationale.
Dans la fiction, l'uchronie est un genre qui repose sur le principe
de la réécriture de l'Histoire à partir de la modification d'un
événement passé. Avec de nombreux éléments autobiographiques,
je suppose, l'écrivain se pose en héros de son roman. Il a 7 ans en
1940 lorsqu'il est témoin de la victoire à l'élection présidentielle du
candidat républicain Charles Lindbergh,
héros de l'aviation, face au président sortant Franklin D.
Roosevelt. Les Etats-Unis préfèrent alors signer un pacte de
non-agression avec l'Allemagne d'Hitler plutôt que d'envisager
une intervention militaire pour sauver l'Europe du fascisme. Ainsi,
un simple concours de circonstances, intelligemment amené par Philip
Roth, va complètement changer le visage
de la démocratie américaine. Le gouvernement commence à prendre des
mesures, en apparence bienveillantes, concernant la communauté juive et
le tabou de l'antisémitisme va
sauter chez certains Américains. Les répercussions sur la famille
Roth ne seront pas négligeables ...
Ce pan d'Histoire revisitée, vu à travers le point de vue
narratif d'un jeune garçon (qui s'exprime tout de même a posteriori par
la bouche d'un Philip Roth adulte) élevé au
sein d'une famille juive qui se sent visée au plus haut point par
les évènements qui secouent l'Amérique, est passionnant et diablement
flippant. Le romancier restitue parfaitement la
montée graduelle de la tension dans le pays et dans la famille Roth.
Cet aspect psychologique de l'intrigue est le point fort du roman. Il
est mis en valeur par un consciencieux
suspense grâce à un scénario subtil et jamais poussif. Jusqu'à la
fin, on n'a aucune idée de jusqu'où les choses vont pouvoir aller et
quel pourra être le dénouement. Quand,
finalement, le roman est terminé et qu'on lit les feuillets sur la
véritable Histoire politique intérieure des Etats-Unis, avec notamment
les biographies des protagonistes, on se rend
compte à quel point le terreau de cette dramatique fiction était à
l'époque en place et que la grande Histoire est aisément susceptible de
basculer dans un sens comme
dans un autre à cause de faits d'apparence mineure ou par des moyens
où le hasard a une grande place.
Collection Folio - pages 476 et 477
Jamais elle ne me semblerait plus remarquable que cette nuit-là, et pas seulement à cause de la générosité avec laquelle elle donnait et recevait ces appels téléphoniques avec le Kentucky . Non, il y avait davantage. D’abord, il y avait eu Alvin, qui avait sauté à la gorge de mon père la semaine précédente. Puis la réaction explosive de mon père. Notre séjour mis à sac. Mon père qui se retrouvait avec des dents et des côtes cassées, des points de suture au visage et une minerve. La fusillade de Chancellor Avenue, dont nous étions certains sur le moment qu’il s’agissait d’un pogrom. Les sirènes, toute la nuit. Les cris et les hurlements dans les rues, toute la nuit. Les heures passées tapis dans le vestibule des Cucuzza – événements ne remontant qu’à la semaine dernière. Mais il y avait aussi le mois dernier, l’année dernière, celle d’avant, il y avait eu tous ces chocs, ces insultes, ces surprises visant à débiliter et terroriser les Juifs, sans pourtant parvenir à briser la force de ma mère. Avant de l’entendre dire à Seldon, quelque mille kilomètres au bout du fil, de se faire à manger, de se mettre à table et de se restaurer, avant de l’entendre appeler les Mawhinney, ces non-juifs chrétiens pratiquants qu’elle n’avait jamais vus, pour les convaincre de sauver Seldon de la folie , avant de l’entendre parler à Mr Mawhinney pour lui dire que s’il arrivait quelque chose de grave à Mrs Wishnow, ils n’auraient pas Seldon à charge, parce que mon père était prêt à descendre dans le Kentucky en voiture pour le ramener à Newark – proposition qu’elle faisait sans qu’on puisse dire jusqu’où au juste les Wheeler et les Ford permettraient d’aller à la populace américaine – je n’avais rien compris à l’histoire de sa vie ces dernières années . Jusqu’à cet appel affolé de Seldon, je n’avais jamais fait la somme de ce que la présidence Lindbergh avait coûté à mon père et à ma mère. Avant cet instant, je n’avais pas su évaluer son montant.
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